jeudi 11 février 2010

Homélie de la Fête Patronale de l'UCL. Professeur André Wenin.

http://paroissesaintfrancois.be/homelies/210-fete-de-luniversite-2-fevrier

Merci à la paroisse d'avoir mis sur le web ce texte théologiquement puissant. Un peu un programme d'Église.
Homélie de la célébration eucharistique (Prof. André Wénin)
Qu’y a-t-il donc à célébrer lorsque l’époque est à la crise ? Est-il seulement possible de le faire ? Et que célébrer en cette fête de l’Université, alors que, pour elle – pour nous – les temps sont incertains, confrontés que nous sommes aux défis sans cesse nouveaux d’un monde complexe en perpétuel changement et d’une société qui, sans boussole, peine à trouver ses marques, et cherche en vain des valeurs qui pourraient rassembler les citoyens et mobiliser les énergies ?
Lorsque le présent est problématique et qu’il impose des choix critiques, un regard sur le passé n’est sans doute pas inutile. Non pour regretter le bon vieux temps, mais pour chercher de l’inspiration dans ce qui fut à la source.
Comme d’autres institutions du même genre dans le nord de l’Italie, l’Université que nous fêtons aujourd’hui est née à la jonction du Moyen âge et de la Renaissance dans un contexte de crise profonde. Plus précis, des historiens diront même qu’elle est née en réponse au marasme économique qui avait frappé de plein fouet le centre drapier du Brabant et vouait au déclin cette ville autrefois prospère. Fonder une université, c’était une façon de ne pas se résigner, d’anticiper un avenir irrémédiablement compromis, en développant la science et la recherche de la sagesse et en pariant sur la jeunesse et son dynamisme avec la conviction que c’est avec elle que l’avenir a ses chances. En accédant à la volonté du duc de Brabant, du chapitre collégial de Saint-Pierre et des édiles de la Ville de Louvain de créer une université dans cette ville en pleine crise, et en lui confiant la mission de former les jeunes au service de tous au moyen de la science et de la sagesse, le Pape Martin V a accompagné ce mouvement en le soutenant de son autorité.

Ce faisant, le pape n’était pas seulement en phase avec son époque, mais aussi avec le dynamisme authentique de la foi chrétienne. Que proclame en effet le cœur du credo de l’Église, si ce n’est la résurrection de Jésus ? Au creux de la mort, de la crise radicale où la vie même vient s’abîmer, au creux de l’impasse apparemment indépassable, de l’échec que l’on croirait sans retour, Dieu prépare un avenir inespéré pour celui que la perspective de la mort certaine n’a pas paralysé et qui, confiant, ne s’est pas dérobé à son avenir pourtant plus qu’incertain.
Mais la résurrection, ce n’est pas seulement celle de Jésus. C’est encore celle des disciples que la mort de leur Seigneur avait anéantis – comme les deux d’Emmaüs. Mais touchés par des signes aussi discrets qu’inattendus — une tombe vide, la parole de quelques femmes d’abord prise pour un délire, une insaisissable mais bouleversante rencontre —, ils ont trouvé la force et l’audace suffisantes pour surmonter leur propre abattement. Ils ont oublié à jamais leurs barques et leurs filets et se sont lancés à corps perdu dans l’annonce d’une bonne nouvelle : comme au premier jour du monde, lorsqu’a resplendi la première lumière, le tohu-bohu, les ténèbres, la tempête et même la mort sont un lieu où Dieu se tient, espérant quelqu’un qui recueille sa parole, accepte son appel à la vie, son invitation à l’audace.
En réalité, ce qui est ainsi au cœur du credo vient couronner une lame de fond qui parcourt les Écritures. Narrateurs bibliques, prophètes et apôtres : tous, d’une façon ou d’une autre, invitent à croire qu’une crise affrontée dans le refus de la nostalgie, dans la confiance en l’avenir et en l’Origine d’où cet avenir ne cesse de sourdre dans le présent – qu’ainsi vécue, cette crise est le lieu d’une créativité et d’un renouvellement que n’auraient pas osé imaginer ceux-là mêmes qui en ont eu l’audace.

(1re lecture : Exode 17,1-61)
Moïse est en plein désert, avec tout le peuple qu’il a tiré de la servitude et à qui il a rendu la vie et l’espoir. Ils ont tourné le dos au passé, ils ont osé l’aventure, et connaissent une liberté qui, il n’y a pas si longtemps, était encore pour eux inimaginable.
Soudain, c’est la crise : le manque d’eau pousse ces gens à s’en prendre à leur guide. Ils l’accusent de leur avoir fait courir tous les risques en les tirant d’Égypte pour les mener dans une impasse bien plus grave : la mort de soif. Ainsi pris à partie, craignant d’être lapidé, Moïse interpelle le Maître de l’impossible qui a ouvert les eaux de la mer pour frayer à son peuple un chemin de vie au cœur de la mort. Et Adonaï répond par un ordre improbable : avec son bâton, frapper la roche, devant témoins, faire jaillir l’eau en plein désert, tirer la vie de ce qui est le plus sec, le plus mort. Comme il avait tendu le même bâton sur la mer – et elle s’était ouverte –, Moïse frappe, avec cette confiance qui fait que l’on ose risquer l’impossible. Dans ce petit récit, Adonaï lui-même montre la voie : l’impasse n’arrête pas celui qu’habite la confiance créatrice.

(2e lecture : Actes des Apôtres 15,1-11)
Très vite, les premières communautés chrétiennes que Saint Luc, dans les Actes des apôtres, présente pourtant comme particulièrement évangéliques, connaissent des conflits, vivent des crises. La plus grave d’entre elles va contribuer à forger l’identité chrétienne.
Le mouvement de Jésus, on le sait, est né au sein du judaïsme, mais rapidement des païens sont devenus disciples. Doivent-ils adopter le judaïsme, changer d’identité se faisant circoncire comme les juifs ? Une solution doit être trouvée : l’avenir de l’Évangile est en jeu. À Jérusalem, la communauté mère, on réunit apôtres et anciens. Paul est en train de les préparer à faire preuve d’audace, en leur racontant comment les païens ont fait bon accueil à la Bonne nouvelle. C’est alors que de plus orthodoxes interviennent pour demander que l’on impose à tous les nouveaux venus l’obligation de pratiquer la Loi de Moïse. Alors que les esprits s’échauffent, que le ton monte, une voix s’élève avec autorité : celle de Pierre. Il a vu, lui, des non-juifs vivre leur Pentecôte. Sans pratiquer la Loi, ils sont entrés dans le chemin ouvert par Jésus, et leur vie en a été transformée. Ne faut-il pas tirer la leçon de cette expérience, et promouvoir la liberté de la foi, en évitant d’en faire un joug qui entrave et soumet l’être à une loi autre que celle de l’amour ? Cette perspective, sans doute effrayante pour les juifs devenus chrétiens, Pierre l’a ouverte. Les autres l’ont suivi avec une audace confiante, sans penser que s’accrocher au passé sauverait l’avenir.

(Évangile : Jean 2,1-11)
Lorsque Jean, au début de son évangile, raconte le premier des signes de Jésus, leur prototype, si l’on peut dire, il propose à son lecteur une sorte de parabole programmatique. Il en ponctue la finale par ces mots : « il manifesta sa gloire ». Aux yeux de Jean, en effet, ce signe manifeste en quoi Jésus pèse sur l’histoire, quelle est sa véritable importance, en quoi il faut compter avec lui.
Et quel est ce signe ? C’est la réponse à une crise – domestique, apparemment anecdotique : une noce où le vin manque. Mais pour qui entre un peu dans la riche symbolique du récit, la crise est autrement profonde et dramatique : c’est celle d’une religion qui, au départ, a commencé par des noces, — l’alliance entre Dieu et son peuple —, mais en est venue à devoir se contenter de l’eau des purifications, dont parle le récit. Une religion qui s’est réduite à ne proposer au fidèle que des efforts pour s’approcher de Dieu et être digne de lui, efforts sans cesse à reprendre parce que sans cesse compromis. Bref, une noce que la fête a désertée, une noce sans joie, sans ivresse.
Dans cette crise, dans cette impasse, qui est Jésus, selon Jean ? Il est celui qui provoque, qui pousse à l’audace : celle de la mère qui, malgré un refus apparent, va quand même de l’avant comme si elle savait que le désir de son fils ne peut s’accommoder de la situation ; celle des serviteurs qui, sur l’ordre de Jésus, portent de l’eau au maître du festin, au risque de paraître ridicules ou de provoquer sa colère… Jésus est ainsi celui dont la parole amorce une issue, mais discrètement, l’air de rien. Et c’est l’agir conjugué de la mère et des serviteurs sur la parole de Jésus qui, en traversant l’impasse, rend à la noce son air de fête, aux convives l’ivresse d’un grand cru, et à la foi son parfum de folie.

Qu’y a-t-il donc à fêter en un temps de crise ? Que célébrer en cette fête de l’Université ? Sans doute le dynamisme et l'enthousiasme de la jeunesse, cet âge où les crises obligent à oser, à s’inventer, à créer cet âge qui sait la vie la plus forte. Peut-être aussi l’enracinement de notre projet universitaire dans ce à quoi l’évangile ne cesse d’appeler : l’espérance, cette petite vertu tenace qui sait que si le grain ne meurt, il ne peut porter du fruit, et que toutes les fleurs de l’avenir sont dans les semences d’aujourd’hui.

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