mercredi 4 mars 2009

De François Mougenot à François Martou

Pour François Martou

Ne cherchez pas à quel titre je m’exprime ici ; je serais bien en peine de le dire moi-même. Et s’il faut trouver une raison pour commencer, disons que je m’appelle François comme lui. Un prénom intemporel, mais assez peu répandu. C’est à tel point que si j’entends crier « François » je me retourne toujours, persuadé qu’il ne peut s’agir que de moi. Alors quand j’ai croisé la route de ce François là, je peux dire que cela a fait un sacré remue-méninge. C’était à la rentrée de septembre 1966. Il venait je crois de quitter la présidence du mouvement des étudiants francophones (MUBEF) et nous avons « kotté » un an dans la même maison communautaire : le CRU . Là, nous avions chacun nos responsabilités mais pour garder son sens au mot « communautaire », nous nous réunissions régulièrement pour échanger et pour imaginer un monde meilleur. François parlait beaucoup et moi pas du tout. Avec lui, j’ai très vite compris que nous n’habitions pas au même étage de la pensée. Ne vous méprenez pas quand je parle d’étage. Il ne s’agit pas de hauteur. Jamais François ne m’a fait ressentir qu’il habitait plus haut que moi. Au contraire. Dans le dialogue singulier, il avait toujours le souci de se mettre au même niveau que son interlocuteur. Non… le problème c’était la vitesse. Je suis un penseur lent. Lui pas ; c’est un champion ! Donc… François parlait et moi j’écoutais.

Après Louvain, nos routes se sont croisées régulièrement. Lors de rencontres d’anciens du CRU [Centre Religieux Universitaire de Louvain] ou chez des amis communs. Toujours lui, toujours le même, toujours aussi rapide et moi loin derrière. C’était parfois fatiguant !

Mais nos chemins se croisaient aussi sur les pavés de Bruxelles. Nous fréquentions les mêmes manifs. Et là j’avais ma revanche. Parce que lui il était coincé devant, surtout quand il est devenu président du MOC. Et une manif ça n’avance pas vite. Alors quand on est devant et qu’on se doit d’y rester, forcément, on marche lentement. Moi je pouvais me permettre d’avancer à mon rythme ; de l’avant vers l’arrière et de l’arrière vers l’avant. C’était une sorte de rituel. A chaque manif, je faisais une pointe jusque devant pour voir s’il y était. Et il y était bien sûr ! On se saluait et je repartais vers l’arrière. On manifestait pour nos frères humains et contre tous ceux qui les écrabouillent. Je crois que la dernière fois que je l’ai rencontré, c’était à la salle de la Madeleine, lors d’une manifestation pour les Palestiniens. Car s’il était un endroit où j’étais presque sûr de le rencontrer c’est quand on manifestait pour les Palestiniens.

Mon dernier contact avec lui est récent. C’était sur la « toile ». Quand il a décidé de présenter sa candidature aux dernières élections, il a envoyé un courriel à tout son carnet d’adresses. J’étais dedans ! Je ne sais pas si François était doué pour les langues mais il est en tout cas une langue qu’il ne pratiquait pas du tout : c’est la langue de bois. Et comme moi non plus je n’aime pas cette langue là, je lui ai renvoyé un courriel pour lui expliquer poliment que, selon moi, il s’était trompé de couleur et que je ne voterais pas pour lui. Echange de bons procédés, il m’a répondu que j’étais un peu borné. Et je peux parfaitement imaginer le son de sa voix et son parler un peu lent, en train de me dire : François, je te trouve un peu borné. C’est tout lui ça !

A Louvain et pendant les années qui ont suivi, je pensais qu’un jour il deviendrait ministre mais qu’il devrait pour ça faire un solide nœud dans sa langue. Mais François n’avait pas la langue assez souple pour ça et il n’est pas devenu ministre. Il est devenu président du MOC. Au début de cette présidence, il y a eu la mort de « La Cité » mais ce journal était sous perfusion depuis longtemps déjà et c’était une mort annoncée. Je lui en ai voulu quand même ! Ce n’est pas rien de perdre le seul journal qui pense comme moi !

François n’est donc pas devenu ministre mais il a fait mieux que ça. Le CRU, l’ISCO, la FOPES, le MOC, la Revue Nouvelle et sans doute d’autres choses que je ne connais pas, il y a beaucoup de cohérence là dedans… beaucoup de droiture… beaucoup de fidélité aussi !

Alors ciao François. Je ne sais pas où tu es, mais si tu rencontre Robert [Robert Detry], salue le pour moi. Et s’il y a des Palestiniens près de toi, dis leur que je pense beaucoup à leurs frères écrabouillés. Et puis… pense plus lentement. Tu as tout le temps devant toi maintenant.

François Mougenot
[Côté étiquettes : chrétien de gauche, militant syndical; je pense que ça devrait suffire ]

Aucun commentaire: