dimanche 8 mars 2009

François Martou. Homélie Dieudonné Dufrasne. Schaltin. 5 mars 2009

La Foi chrétienne se vit dans le secret du coeur, un secret d'amour éminemment personnel, puissant, mais tout autant fragile, comme est l'amour. Dès lors, la Foi se préserve des regards impudiques. Elle protège jalousement l'intimité de ses relations avec le mystère de Dieu. En ce sens, il est juste de dire que la religion est une affaire privée, non pas cependant par une éventuelle injonction qui lui serait imposée de l'extérieur, mais parce que le croyant, en toute liberté, ferme l'accès du public à la source intérieure de son identité, que personne ne peut lui ravir. C'est de cette source que jaillissent, comme les perles d'un trésor, les dons si rares de la paix sereine, de l'espérance joyeuse et de la charité brûlante. Mais en même temps, et tout naturellement, cette Foi secrète se manifeste publiquement dans la vie du croyant, non par prosélytisme, ni par forcing idéologique, ni par soif du pouvoir, ni par valorisation individuelle - encore que ces déviances existent -, mais comme par le débordement irrésistible de cette source intérieure dont les eaux généreuses lui chantent les appels de l'Evangile à se libérer des pratiques religieuses confortables pour prendre en charge la pauvreté humaine, en laquelle se cache la pauvreté du Christ, toute la pauvreté et toutes les pauvretés, celles du corps, de l'âme, du coeur, de l'esprit, ces pauvretés engendrées et entretenues par des structures de société injustes et révoltantes, contre lesquelles le disciple de Jésus doit s'insurger avec la violence désarmée de l'amour. On ne peut pas croire à la résurrection du Christ si on n'épouse pas l'insurrection des membres souffrants de son corps. Et il existe aussi d'autres pauvretés moins structurelles, moins immédiatement engendrées par l'injustice sociale et qui risquent d'être oubliées dans nos grands combats, les pauvretés que nous-mêmes entretenons par distraction, par souci de notre confort, par dérobade envers ceux qui sont notre propre chair, comme nous l'a rappelé le prophète Isaïe, par peur inavouée de nous dessaisir de notre propre vie alors que l'amour de Jésus jusqu'à l'extrême nous y invite. Ces pauvretés nous sont très proches, dans notre propre foyer familial, dans le cercle de nos amis, dans la cohabitation avec nos voisins et avec, comme nous disons, nos confrères de travail. Ces pauvres ne peuvent pas attendre le grand soir; ils ont besoin, comme le promet le prophète Isaïe, que, en toute urgence, ils voient se lever la lumière d'une aurore, grâce à des gestes réputés aujourd'hui quelque peu ringards : les gestes de la compassion, de la consolation, de la tendresse, de la connivence d'un sourire, de la respiration tonifiante de l'humour. C'est à ces gestes, gratuits, improvisés, non codifiés, que tous ceux que le langage commun approximatif appelle croyants et non-croyants, peuvent deviner qu'ils ont en commun un mystère intérieur que les uns appellent Dieu, et que les autres appellent un au-delà d'eux-mêmes. Et c'est grâce à cet "au-delà" que nous pouvons, à travers nos différences, nous rencontrer dans la droiture de notre propre cohérence, dans l'inviolable respect mutuel. Notre rassemblement, étonnament coloré, en fait foi. Et nous en sortirons grandis, grâce à François. Jusqu'ici, François, je ne l'ai pas nommé et c'est à dessein, car je n'ai pas voulu l'enfermer dans les propos d'un sermon qu'il n'aurait pas appréciés. Un jour, François m'avait dit : "Dieudonné, si jamais je partais avant toi et que tu célébrais mes funérailles, sois allusif". Et c'est vrai que François, nous n'avons pu que le deviner. N'est-ce pas Ghislaine, toi qui fus l'étonnante épouse d'un mari étonnant? N'est-ce pas Geneviève, Véronique, Pascale, qui avez été les filles merveilleusement étonnées de la tendresse d'un père publiquement combatif? Dès lors, laissons François, en pleine liberté, prendre les ailes de l'aurore pour rejoindre dans la Cité du ciel, la foule immense des amis et copains qui ont donné de leur santé,de leur intelligence, de leur coeur, parfois de leur sans, pour l'avènement du monde nouveau selon le coeur de Dieu. Certains les appellent les Justes, d'autres les appellent les hommes "à la conscience droite", d'autres encore les appellent les saints avec ou sans auréole. Nous allons entrer dans la seconde partie de cette célébration. Les chrétiens vont rejoindre François par leur communion au Corps et au Sang du Christ ressuscité. Nous souhaitons que les non-chrétiens ne soient nullement agressés par notre Foi mais y trouvent un moment de réflexion et d'intériorisation. Dans une paix de respect mutuel. Dieudonné Dufrasne - Schaltin, le 5 mars 2009. Texte frappé par Marie Morelle. Merci Marie.

mercredi 4 mars 2009

De François Mougenot à François Martou

Pour François Martou

Ne cherchez pas à quel titre je m’exprime ici ; je serais bien en peine de le dire moi-même. Et s’il faut trouver une raison pour commencer, disons que je m’appelle François comme lui. Un prénom intemporel, mais assez peu répandu. C’est à tel point que si j’entends crier « François » je me retourne toujours, persuadé qu’il ne peut s’agir que de moi. Alors quand j’ai croisé la route de ce François là, je peux dire que cela a fait un sacré remue-méninge. C’était à la rentrée de septembre 1966. Il venait je crois de quitter la présidence du mouvement des étudiants francophones (MUBEF) et nous avons « kotté » un an dans la même maison communautaire : le CRU . Là, nous avions chacun nos responsabilités mais pour garder son sens au mot « communautaire », nous nous réunissions régulièrement pour échanger et pour imaginer un monde meilleur. François parlait beaucoup et moi pas du tout. Avec lui, j’ai très vite compris que nous n’habitions pas au même étage de la pensée. Ne vous méprenez pas quand je parle d’étage. Il ne s’agit pas de hauteur. Jamais François ne m’a fait ressentir qu’il habitait plus haut que moi. Au contraire. Dans le dialogue singulier, il avait toujours le souci de se mettre au même niveau que son interlocuteur. Non… le problème c’était la vitesse. Je suis un penseur lent. Lui pas ; c’est un champion ! Donc… François parlait et moi j’écoutais.

Après Louvain, nos routes se sont croisées régulièrement. Lors de rencontres d’anciens du CRU [Centre Religieux Universitaire de Louvain] ou chez des amis communs. Toujours lui, toujours le même, toujours aussi rapide et moi loin derrière. C’était parfois fatiguant !

Mais nos chemins se croisaient aussi sur les pavés de Bruxelles. Nous fréquentions les mêmes manifs. Et là j’avais ma revanche. Parce que lui il était coincé devant, surtout quand il est devenu président du MOC. Et une manif ça n’avance pas vite. Alors quand on est devant et qu’on se doit d’y rester, forcément, on marche lentement. Moi je pouvais me permettre d’avancer à mon rythme ; de l’avant vers l’arrière et de l’arrière vers l’avant. C’était une sorte de rituel. A chaque manif, je faisais une pointe jusque devant pour voir s’il y était. Et il y était bien sûr ! On se saluait et je repartais vers l’arrière. On manifestait pour nos frères humains et contre tous ceux qui les écrabouillent. Je crois que la dernière fois que je l’ai rencontré, c’était à la salle de la Madeleine, lors d’une manifestation pour les Palestiniens. Car s’il était un endroit où j’étais presque sûr de le rencontrer c’est quand on manifestait pour les Palestiniens.

Mon dernier contact avec lui est récent. C’était sur la « toile ». Quand il a décidé de présenter sa candidature aux dernières élections, il a envoyé un courriel à tout son carnet d’adresses. J’étais dedans ! Je ne sais pas si François était doué pour les langues mais il est en tout cas une langue qu’il ne pratiquait pas du tout : c’est la langue de bois. Et comme moi non plus je n’aime pas cette langue là, je lui ai renvoyé un courriel pour lui expliquer poliment que, selon moi, il s’était trompé de couleur et que je ne voterais pas pour lui. Echange de bons procédés, il m’a répondu que j’étais un peu borné. Et je peux parfaitement imaginer le son de sa voix et son parler un peu lent, en train de me dire : François, je te trouve un peu borné. C’est tout lui ça !

A Louvain et pendant les années qui ont suivi, je pensais qu’un jour il deviendrait ministre mais qu’il devrait pour ça faire un solide nœud dans sa langue. Mais François n’avait pas la langue assez souple pour ça et il n’est pas devenu ministre. Il est devenu président du MOC. Au début de cette présidence, il y a eu la mort de « La Cité » mais ce journal était sous perfusion depuis longtemps déjà et c’était une mort annoncée. Je lui en ai voulu quand même ! Ce n’est pas rien de perdre le seul journal qui pense comme moi !

François n’est donc pas devenu ministre mais il a fait mieux que ça. Le CRU, l’ISCO, la FOPES, le MOC, la Revue Nouvelle et sans doute d’autres choses que je ne connais pas, il y a beaucoup de cohérence là dedans… beaucoup de droiture… beaucoup de fidélité aussi !

Alors ciao François. Je ne sais pas où tu es, mais si tu rencontre Robert [Robert Detry], salue le pour moi. Et s’il y a des Palestiniens près de toi, dis leur que je pense beaucoup à leurs frères écrabouillés. Et puis… pense plus lentement. Tu as tout le temps devant toi maintenant.

François Mougenot
[Côté étiquettes : chrétien de gauche, militant syndical; je pense que ça devrait suffire ]

mardi 3 mars 2009

François Martou. Demain il fera jour camarades

François Martou s'est bêtement fait avoir par une crise cardiaque ce dimanche 1 mars 2009. On n'entendra plus ses gueulantes et sa phrase de sortie : "demain il fera jour camarades". 
Moi j'ai aimé, et je me suis surpris à pleurer, le Martou des années 60 : le MUBEF, le CRU de la Place Hoover, les assemblées de la Paroisse Universitaire qu'il présida avec maitrise laissant la parole à chacun (mais oui), ... De ses oeuvres il restera en tout cas la Fopes. Et ses interventions au sein du groupe de la Revue Nouvelle.
Il y a des moments où je ne comprenais plus sa stratégie mais je partageais sa détermination. Dur de faire pousser des oliviers sur notre terre gelée! Il est parti pour le paradis des progressistes. Peut-être va-t-il y trouver des alliés inattendus.
Longtemps il a été la voix du MOC. 
Quel rôle aujourd'hui pour les intellectuels ? Quel rôle pour ceux qui sont issus de la mouvance chrétienne ? Quels fruits portent encore nos enthousiasmes des années 50 et 60, et de cette action pour les étrangers à l'hiver 70-71 ? 


Souviens-toi François, lorsqu'avec le MUBEF nous nous battions pour la reconnaissance d'un métier d'étudiant, avec salaire à l'appui!!! Il faudra relire cela.
Un de nos enjeux qui n'a cessé de progresser c'est l'égalité homme-femme dans notre milieu universitaire (il y a encore du chemin). Pour moi Ghislaine en reste un des symboles. Les maisons communautaires de filles ont été un moment décisif. Ghislaine n'a pas été seulement l'épouse de François.
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Les funérailles ont lieu à Schaltin (pas loin de la Nationale 4 Namur-Marche, à hauteur de Hamois), jeudi 5 mars 2009 à 10h30.